livres/Traité d'économie hérétique

11 mars 2019 Rédigé par Linuxine

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Auteur : Thomas Porcher, Ed. Fayard
Lu du 25 février  au 07 mars 2019

Encore un auteur qui m'a été inspiré par l'émission "Par Jupiter" ! Il était venu présenter ce livre, et j'ai bien aimé le concept des "Economistes Atterrés", un collectif d'économistes "de gauche" dont il fait partie, et qui luttent contre le discours dominant en économie, qui a tendance à nous faire croire qu'il n'y a qu'une seule orientation économique possible, et que tout le reste n'est que de l'utopie.

Souvent, quand j'entends les raccourcis qu'on nous rabâche à longueur de journée, du type "le code du travail empêche les entreprises d'embaucher", "la France est le pays où l'on travaille le moins au monde", etc, je sens intuitivement qu'on nous ment, mais je n'ai pas d'éléments objectifs pour remettre ces affirmations en question. C'est justement ce que nous propose ce livre, nous donner des éléments pour pouvoir relativiser la pensée dominante en matière économique.

J'ai du attendre pas loin de 2 mois pour emprunter l'ouvrage en médiathèque, car il est assez demandé, mais cela valait l'attente ! Je vais vous faire ici un petit résumé des grandes lignes du livre. Attention c'est un peu long ! Si vous voulez le "TL;DR", allez directement tout en bas lire les 10 principes d'autodéfense contre la pensée dominante. 😉

L'économie n'est pas une science

Tout d'abord, l'économie est une science humaine, donc tout n'est que théorie : il ne faut pas croire les économistes qui disent détenir la seule vérité, et qui balaient les arguments contraires comme étant des utopies. Les économistes ultra-libéraux accusent les économistes plus "sociaux" de faire de la politique et non de l'économie, mais tout est politique en économie, ce n'est pas une science dure.

Selon Thomas Porcher, quand les économistes du courant de pensée dominant, les néoclassiques, se trompent, ce ne sont pas eux qui payent le prix de leur erreur, mais les populations de pays tout entiers. Comme c'est arrivé par exemple lors de la crise des subprimes, due à la croyance inébranlable de la majorité des économistes que "le marché s'auto-régule" et qu'il était impossible que le système bancaire s'effondre...

Le cadre de pensée n'est pas fixe

Contrairement à ce qu'on nous matraque, "c'est comme ça et pas autrement", le cadre de pensée économique n'est pas figé, et il peut bouger. Avant la mise en place des congés payés, par exemple, cela paraissait impensable ; maintenant ça nous parait normal.

Mais ceux auxquels le système actuel profite le plus, les élites, n'ont aucun intérêt à ce que les choses bougent.  D'où leur promptitude à taxer d'utopisme tout économiste qui essaye de faire des propositions en dehors du cadre actuel.

Le mythe de la réussite individuelle

Le "mérite" est un mythe que les élites ont intérêt à entretenir, car ça leur permet de justifier le fait qu'ils détiennent une part trop importante des richesses : ils le méritent, ils ont travaillé pour. Reconnaître que c'est uniquement dû a la chance, et/ou à leur condition de naissance, cela serait reconnaître que le système est complètement injuste... De même; les économistes néoclassiques vont déplacer le concept de luttes des classes vers l'individu : ce n'est pas sa classe qui conditionne son destin, mais ses propres actions : il devient responsable de son sort. En mettant de côté son origine sociale, comme si cela n'avait aucun impact... Or, le mythe du "self made man" à l'américaine ne tient pas si on l'analyse objectivement : tous les grands patrons contemporains ont pu réussir car ils étaient dans un environnement qui leur a garanti une solide éducation, des financements, et des infrastructures permettant de mettre en place leur entreprise. Warren Buffet l'a reconnu lui même, en disant que la société était responsable d'une part conséquente de sa fortune, et que si on le plantait au Bangladesh ou au Pérou, il serait encore en train de lutter 30 ans plus tard...

Ce mythe de la réussite individuelle et de l'individu responsable de son destin est également bien commode pour pouvoir culpabiliser les chômeurs. Le chômeur serait un fainéant, qui préfère paresser en profitant d'aides sociales plutôt que travailler. Cette vision bien commode ne tient pas lorsqu'on regarde les chiffres du chômage : comment expliquer les pics de chômage, par exemple en 1929 et 2008 ? Une crise de paresse généralisée ?

Pour résoudre la crise de 2008, l'Europe a fait le choix de l'austérité, pour réduire les déficits,  mais au détriment de l'emploi, contrairement aux Etats-Unis qui ont privilégié la croissance. Bref, le chômage est un phénomène macro économique, qui n'a rien à voir avec la volonté des individus.

Pour boucler la boucle, la tendance des dominants à considérer qu'ils se sont fait tout seuls est également bien commode pour justifier leur refus de contribuer à la société. Pourquoi payer des impôts quand on ne doit tout qu'à soi-même ?

Marché du travail : des réformes libérales sans fin... et sans succès

Depuis des années, on nous rabâche que le souci c'est notre code du travail, que c'est ça qui nous empêche d'être "compétitifs" vis à vis d'autres pays, et qu'il faut "réformer". Et des réformes, on en a eu ! Pas moins de 165 réformes dans le domaine du marché du travail entre 2000 et 2013... Et ensuite on nous dit que le code du travail doit être modifié car il n'a pas changé depuis 30 ans...

Par ailleurs, on nous vend des "modèles allemands" à base de "ils n'ont quasiment pas de chômage" tout en se basant sur un chiffre brut, sans regarder la part grandissante de travailleurs pauvres que cela entraîne... Les allemands sont très forts pour faire sortir les gens des statistiques du chômage en leur imposant des emplois à temps partiels voire très partiels. Cela améliore les chiffres, mais en aucun cas les conditions de vie des personnes concernées. Est-ce vraiment comme ça que nous voulons régler le problème du chômage en France ?

En conclusion, la flexibilité du marché du travail  est uniquement la flexibilité à la baisse des droits des salariés, jamais ceux des patrons, ni des actionnaires.

 

La dépense publique et l'épouvantail de la dette

La dépense publique et le déficit qu'on nous présente comme étant des dangers pour les générations futures sont exagérés : elles ne prennent en compte que la dette, et pas les actifs de l'état, qui sont bien supérieurs à cette dette. Ce qui fait qu'au final, si on veut parler en terme de générations futures, ce serait bien un actif et non un passif qu'on leur céderait... Il est également à noter que cette dépense publique semble être un souci uniquement lorsqu'il s'agit de financer des actions sociales :  les mêmes qui veulent réduire les services publics ou le nombre de fonctionnaires au nom de  la sacro-sainte "réduction des déficits" ne voient aucun souci à accorder des cadeaux fiscaux ou des subventions aux entreprises, ce qui revient de fait à fabriquer de la dette...

Plus de dépense publique ne veut pas forcément dire plus de dette, par contre cela veut dire plus de justice sociale, et pas la privatisation de pans entiers de l'état social, au profit... des élites et de leurs amis.

On ne gère pas un état comme on gère un ménage, et les nombreuses métaphores en ce sens nous prennent pour des idiots. Pour la bonne raison qu'un état, contrairement à un ménage, ne fait pas faillite, et ne meurt pas. Il peut donc prévoir des durées de remboursement bien au-delà la vie d'un seul homme.

Par ailleurs, on ne nous dit jamais que la dette privée s'élève à 130% du PIB, supérieure à la dette publique qui elle, est de 100%. Mais cela ne semble poser de problème à personne dans le privé... Par ailleurs, les états ont peut d'intérêt à rembourser entièrement leur dette, car dans ce cas, ils ne peuvent plus émettre de Bons du Trésor, outil très pratique pour faire varier les taux d'interêts et donc piloter la politique économique...

La finance, faux ami de l'entreprise

Depuis que les banques sont entièrement privées, elle n'ont plus à coeur de financer "l'économie réelle" mais uniquement de rémunérer au mieux leurs actionnaires. Tout le système a évolué pour donner la priorité aux bénéfices des actionnaires sur les investissements et les salariés, qui sont de fait devenus la seule variable d'ajustement pour augmenter les profits des actionnaires.

La casse du modèle social

Notre "modèle social" serait trop généreux, et trop coûteux, et rendrait notre pays inapte à la compétition mondiale. Depuis des années, les entreprises font pression sur les gouvernements successifs pour baisser des cotisations sociales qui soit disant les empêcheraient de créer des emplois. Avec les conséquences que l'on connaît : pas d'emploi créés, mais une augmentation des  bénéfices des actionnaires. Le pompon étant la justification de la suppression de l'ISF par la "fuite des riches". Le manque à gagner suite à des départs de contribuables fortunés est estimée à 170 millions d'€ par an... alors que la suppression de l'ISF va coûter 3.5 milliards par an ! Et ensuite, on viendra nous dire que nous avons trop de déficit, et qu'il va falloir réduire le niveau des prestations sociales, ou bien des services publics... Tout cela, alors qu'aucune corrélation n'a été établie entre la croissance et le niveau des prélèvements obligatoires... Et encore une fois, vouloir casser le modèle social, c'est offrir aux entreprises privées des pan entiers des activités de l'état.

L'hypocrisie climatique

Afin de ne pas les effaroucher, on ne veut surtout pas imposer de changements structurels forts aux entreprises pour lutter contre le changement climatique. Toujours dans l'optique de pensée magique "le marché va se réguler tout seul", on se contente de mettre en place un marché du carbone en espérant que cela suffise. Spoiler : cela ne suffit pas, et tant qu'il n'y aura pas d'orientation politique forte, les entreprises ne prendront pas d'elles-même des décisions qui iront à l'encontre de leur intérêt immédiat, dans l'espoir de réduire les effets d'un changement climatique qui n'arrivera pas avant le prochain versement des dividendes aux actionnaires...

La désunion européenne

Les institutions européennes sont actuellement aveuglées par la croyance dans le "modèle allemand" qu'elle veulent imposer à tous les pays, alors même que ce modèle est très inégalitaire, et repose sur des millions de travailleurs pauvres. En imposant des mesures d'austérité au nom de ce modèle, l'Europe favorise le rejet des populations et donc la montée des extrêmes. Car la construction Européenne, et la mise en place de l'Euro telle qu'elle a été réalisée, a favorisé une compétition entre les modèles sociaux et fiscaux des états, ce qui a favorisé le moins disant. L'union européenne, au lieu de devenir un bouclier contre les méfaits de la mondialisation, en est devenue une caisse de résonance.

Le libre-échange, arme de domination massive

La théorie du libre échange, telle que théorisée par Alan Smith, sous-entend l'interdiction par les états de protéger leur production, leurs emplois, ses habitants, ses normes. Chaque pays est sensé échanger librement avec ses voisins, et devrait acheter ailleurs tout ce qui coûte plus cher à produire chez lui. Il devrait se contenter de produire en interne uniquement des produits pour lesquels il aurait un "avantage absolu", c'est à dire qu'il produit moins cher que partout ailleurs. Les pays développés ont bien appliqué cette politique aux pays émergents, en les forçant à leur acheter quasiment tout, et à vendre uniquement ce pour quoi ils avaient un "avantage absolu", c'est à dire des matières premières. Ce faisant, il les ont maintenus dans la pauvreté, en empêchant de facto leur développement, puisqu'ils sont soumis à la concurrence directe de pays avec des économies bien plus anciennes et développées. Par ailleurs, ce jeu est faussé, car les pays développés, eux, n'ont pas soumis au cours de l'histoire leurs champions nationaux à la concurrence dès leur création : ils les ont protégés à coup de subventions et de barrières douanières jusqu'à ce qu'ils aient atteint une taille assez critique pour pouvoir supporter la concurrence internationale. Toutes choses que le FMI et les pays occidentaux interdisent aux pays émergents de faire, sous prétexte de respecter le libre échange...

La mondialisation, d'abord arme des pays riches contre les pays pauvres, est devenue l'arme des multinationales contre les citoyens.

Pour finir, les traités de libre échange tels que négociés aujourd'hui donnent un pouvoir démesuré aux multinationales. A coup d'intense lobbying au parlement européen, les entreprises multinationales visent un nivellement des normes par le bas.

L'espace européen est devenu un vaste lieu de concurrence où chaque Etat, tout en disant "Vive l'Europe!" , baisse ses réglementations pour prendre des parts de marché à son voisin.

 

En conclusion, l'auteur nous propose 10 principes d'autodéfense contre la pensée dominante :

  • Toujours se méfier des remèdes miracles en économie,

  • Ne jamais se laisser imposer des limites au possible,

  • Un individu n'est jamais seul responsable de sa réussite ou de ses échecs,

  • Ne jamais croire que la flexibilité du marché du travail est un remède au chômage,

  • Avant de vouloir baisser la dépense publique, essayer de comprendre ce qu'elle recouvre,

  • La finance n'est l'amie de personne... sauf des financiers,

  • N'ayez pas peur de la dette publique,

  • Cessez d'écouter les beaux discours sur le réchauffement climatique, vérifiez les actes,

  • Si vous aimez l'Europe, critiquez la commission Européenne,

  • Ne croyez pas que le libre échange profite à tous.

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